Le 30 novembre 1999, après plusieurs mois de crise, l’Organisation des Nations unies déploie une force de paix dans l’Est de la République démocratique du Congo, la Monuc, pour mettre fin aux affrontements sanglants qui suscitent des milliers de déplacements de civils. Douze ans après, elle y est encore !
19 septembre 2002, la guerre civile éclate suite à une tentative de coup d’État en Côte d’Ivoire. Alors qu’une colonne de troupes venue du Nord du pays avance vers Abidjan, la France, sur la demande insistante du président Laurent Gbagbo, qui invoque des accords de défense avec l’ancienne métropole, déploie une force tampon qui stoppe l’avancée des troupes rebelles et établit de fait une ligne tampon qui va diviser le pays en deux. C’est l’opération Licorne. Elle va passer sous mandat de l’ONU qui elle aussi, après l’adoption d’une résolution du conseil de sécurité, la 14164, déploie une autre force en Côte d’Ivoire, la MUNICI, puis l’ONUCI. Elles y sont toujours et ont joué un rôle déterminant dans le dénouement de la crise postélectorale qui a paralysé le pays pendant plusieurs mois.
Samedi 19 mars 2011, le ciel de Libye est le théâtre de bombardements de la Communauté internationale. La raison invoquée ? Mettre fin à la répression sanglante des civils insurgés contre Tripoli. Désormais, il est clairement question de renverser le régime de Mouammar Kadhafi.
Toutes ces interventions se déroulent sur le sol africain et suscitent, bien entendu, de nombreuses interrogations sur le rôle des institutions, des organisations régionales, notamment l’Union africaine, puisque pour l’instant, elle n’a pas brillé par son rôle dans la résolution de ces crises. Dans certaines régions d’ailleurs, l’on préfère la médiation d’organes d’intégrations sous-régionales comme la CEDEAO, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest ou la SADC pour l’Afrique australe que celle de la remplaçante de l’Organisation de l’Unité africaine. Même les grandes puissantes n’attendent plus son avis pour prendre des décisions sur les questions continentales. À quoi sert vraiment l’Union africaine ? C’est le thème de notre débat de ce dimanche 17 avril 2011.
Débat qui réunit plusieurs personnalités, acteurs de la politique internationale :
Edem Kodjo
- Ancien Secrétaire général de l’Organisation de l’unité africaine,
- Ancien Premier ministre du Togo
- Auteur de nombreux ouvrages, dont une Lettre ouverte à l’Afrique cinquantenaire
- Distinction honorifique de fondateur de la CEDEAO
Mahamat Saleh Annadif
- Ancien ministre des Affaires étrangères du Tchad
- Ancien représentant de l’Union africaine auprès de l’Union européenne à Bruxelles
- Actuel Secrétaire général de la Présidence de la République du Tchad
Jean-Louis Billon
- Homme d’affaires
- Patron de Sifca/Sifcom
- Président de la Chambre de commerce et d’industrie de Côte d’Ivoire
Lanciné Camara
- Président de l’Union internationale des journalistes africains
- Directeur de publication du bimestriel, Le devoir africain
Alain Foka, RFI
Il faudrait que l’Union africaine soit un véritable outil de développement économique et social.
Alain Foka
Pensez-vous que l’Union africaine est viable?
Jean-Louis Billon
On se demande, parfois, à quoi sert véritablement l’Union africaine. Je pense qu’elle pourrait servir à faire avancer l’ensemble des nations africaines. Mais, pour y parvenir, il faut arrêter, déjà, des positions de principes. On ne peut vouloir promouvoir la paix, la sécurité et la stabilité et voir cohabiter au sein de cette union des démocraties en construction, c’est à dire naissantes et des dictatures de plein exercice ou des dirigeants qui font du blanchiment politique. À l’instar du dealer de drogue qui fait du blanchiment d’argent, le blanchiment politique c’est le président qui arrive au pouvoir par un coup d’État et qui, au fil des années, se transforme en démocrate par des élections!
Alain Foka
On se refait une virginité politique par des élections…
Jean-Louis Billon
C’est exactement ça! On refait le jeu, mais on se maintient. On ne peut pas avoir la paix, la sécurité et la stabilité avec des pays dirigés par des dictateurs qui restent plusieurs décennies au pouvoir. Forcement, il y aura instabilité! Heureusement, les dictatures sont vouées à disparaître.
Alain Foka
Mais, pour vous est-ce là l’une des raisons qui ne permet pas à l’Union africaine d’être efficace?
Jean-Louis Billon
Forcément, ce sont des forces centrifuges qui cohabitent! Il y en a qui voudraient la paix et la démocratie et pour cela, il va falloir parler d’infrastructures communes, de développement économique, de commerce, de rentrer de plain-pied dans la mondialisation. Pour d’autres, il faut protéger leur position, protéger leur dictature. Ce sera, donc, beaucoup plus difficile.
L’Union européenne, qu’a-t-elle fait? Elle a, certes, connu des guerres. Mais, depuis sa création, elle a retrouvé la paix, elle connait la croissance. Il faut arrêter des positions de principes. Cela nous amène à nous poser un certain nombre de questions : que veut-on au sein de l’Union africaine? Dire que nous ne voulons, en son sein, que des démocrates et accepter les démocraties serait un bon début. On ne peut pas continuer ainsi! Quant aux moyens pour arrêter les positions de principe, il n’en faut pas beaucoup. Par contre, si l’on veut, ensuite, avoir des forces d’intervention pour régler nos propres conflits, là il faut des moyens et ces moyens-là, il y a des pays qui sont immensément riches sur le continent africain pour les apporter.
Alain Foka
Mais ces pays qui sont immensément riches est-ce qu’ils ont envie de participer à un instrument auquel ils ne croient pas?
Jean-Louis Billon
Ça aussi, c’est la grande question. Concernant les principes, prenons l’exemple de la crise ivoirienne. De nombreux Africains ont été choqués de voir l’ONU et la France intervenir. Même interrogation pour la Libye : pourquoi ce sont les Européens qui interviennent? Mais les Tunisiens, dernièrement, quand ils veulent fuir leur instabilité, où vont-ils? En Europe! Ils ne vont pas vers d’autres pays africains.
Alain Foka
Pour vous leur intervention se justifie alors ?
Jean-Louis Billon
Les Européens doivent se protéger vu que ce n’est pas vers les Africains que les Tunisiens et les Égyptiens se tournent. Ils essaient de partir en Europe.
D’autre part, est-ce que nous avons au sein de l’Union africaine une Cour pénale africaine pour traiter des problèmes de crime contre l’humanité qui ont lieu sur notre propre continent? Il faudrait y penser au lieu de toujours nous plaindre d’être obligés de nous rendre à La Haye!
Alain Foka
N’est-ce pas la preuve qu’il faut déjà avoir envie d’appartenir à un ensemble et partager ses valeurs ? N’est-ce pas ce qui manque à l’Union africaine, monsieur Billon ?
Jean-Louis Billon
Oui, je pense que les propos de monsieur Camara sont justes. Poser des principes, dire par exemple : nous cotisons, nous faisons partie. Nous ne cotisons pas, nous ne faisons pas partie. Nous sommes des démocrates,nous faisons partie, nous ne sommes pas des démocrates, nous ne faisons pas partie. C’est en acceptant ces principes, dès le départ, que l’on pourra avoir une union réelle. Comme je l’ai dit tantôt, il y a trop de forces centrifuges. Chacun tire de son côté avec des intérêts divergents. Soit l’on se pose des principes et on les accepte soit l’on en sort.
On aurait pu éviter la crise au Niger. Voilà, un président qui arrive au pouvoir à la suite d’une crise importante et qui modifie les textes pour se maintenir à la tête du pays, se croyant plus intelligent que tout le monde. Ça a mené à quoi? À une crise, forcément. Il faut aujourd’hui, faire la prévention de crise. Quand vous vous maintenez au pouvoir trop longtemps, vous savez que la seule façon d’obtenir une alternance, ce sera par la force, d’où violence et instabilité. On peut éviter tout cela en posant les principes dès le départ.
Alain Foka
Qui faut-il associer à la renaissance de l’Union africaine et à son nouveau départ?
Jean-Louis Billon
Il ne faut pas oublier d’associer les hommes d’économie, les hommes de commerce, les hommes d’entreprises parce que je pense que l’Union africaine peut avoir une belle mission. Il faut qu’elle se pose des principes et qu’elle s’y tienne. Il faudrait que l’Union africaine soit un véritable outil de développement économique et social. Et cela passe par le respect des libertés, de la justice, des démocraties.
jeanlouisbillon.net
Source: ConnectionIvoirienne.net, du 22 avril, 2011 à 06:56
No comments:
Post a Comment