Thursday, April 14, 2011

Libye et Côte d'Ivoire: révélateurs d'une nouvelle Onu ?

De l'engagement des hélicoptères MI-24 de l'Onuci dans la bataille d'Abidjan au soutien apporté aux rebelles libyens, les Nations unies semblent avoir remisé en ce printemps 2011 la réputation d'esquive et de prudence qui leur est traditionnellement liée.
Mais diplomates et analystes s'interrogent: cette approche inhabituellement combative dans ces dossiers brûlants de l'actualité traduit-elle une métamorphose de l'organisation mondiale ou une simple phase liée à des facteurs particuliers.

Depuis des années, organisations de défense des droits de l'homme et Etats membres de l'Onu critiquent le Conseil de sécurité, ses lenteurs et ses réticences à s'engager.

"Avec l'autorisation du recours à la force en Libye et le règlement agressif de la situation de blocage en Côte d'Ivoire, l'Onu traverse une période de puissance", relève David Bosco, qui enseigne les relations internationales à l'American University de Washington.

"La question est de savoir pour combien de temps. Par le passé, l'Onu a déjà vécu des périodes de ce type et s'est souvent exposée par la suite soit à un contrecoup d'Etat membres inquiets de cette assurance onusienne, soit à une tendance à en faire trop, comme ce fut le cas en Somalie au début des années 1990", ajoute-t-il.

Paralysé pendant toute la Guerre froide par l'antagonisme américano-soviétique, le Conseil de sécurité a changé de nature après l'effondrement de l'URSS. Ses cinq membres permanents, dotés d'un droit de veto, ont entrepris de coopérer, envoyant des casques bleus dans les Balkans, en Afrique et ailleurs.

Mais l'extension de ces opérations de maintien de la paix s'est heurtée à de graves échecs. En Somalie d'abord, puis en Bosnie et surtout au Rwanda, où les casques bleus ont été incapables d'enrayer au printemps 1994 le génocide de centaines de milliers de Tutsis et de Hutus modérés.

A cette aune, l'engagement en Côte d'Ivoire (où la résolution 1975 a autorisé le recours à la force pour détruire les armes lourdes des partisans de Laurent Gbagbo) et en Libye (où la résolution 1973 a instauré une zone d'exclusion aérienne et autorisé "toutes les mesures nécessaires" pour assurer la protection des populations civiles face à l'armée de Mouammar Kadhafi) a de quoi surprendre.

Pour Philippe Bolopion, de l'organisation Human Rights Watch, le secrétaire général de l'Onu Ban Ki-moon, entré dans la dernière année de son premier mandat, et le Conseil de sécurité ont fixé un cadre ambitieux pour les crises à venir.

"Avec un Ban plus confiant sur les questions liées aux droits de l'homme et un Conseil de sécurité finalement à la hauteur de la responsabilité qui est sienne de protéger les civils des risques d'exactions de masse, l'Onu semble plus forte et a fixé de nouvelles normes qu'il lui faudra défendre de manière plus régulière à travers la planète", ajoute-t-il.

Car sur d'autres dossiers, cette doctrine dite de la "responsabilité de protéger", dérivée du droit d'ingérence humanitaire, reste lettre morte.

C'est le cas notamment au Darfour, dans l'Ouest soudanais, où des groupes réclament depuis des années l'instauration d'une zone d'exclusion aérienne. Parmi les autres conflits sans règlement où l'engagement des Nations unies se heurte à des blocages politiques, on peut énumérer le Sahara-Occidental, Chypre ou bien encore le conflit israélo-palestinien.

Un diplomate suggère de chercher les raisons du changement d'attitude observé en Côte d'Ivoire et en Libye du côté de l'importance de ces deux pays sur certains marchés: la Côte d'Ivoire est le premier producteur de cacao et un acteur majeur sur le café, la Libye est cruciale pour l'approvisionnement des marchés en pétrole et gaz naturel.

D'autres diplomates mettent en avant le rôle de Nicolas Sarkozy. Alors que l'administration américaine se débattait avec ses contradictions internes sur les moyens de réagir à la crise libyenne, le président français a été en pointe dans l'élaboration de la résolution 1973.

En coopération avec Ban Ki-moon, Paris a également accéléré les débats sur la Côte d'Ivoire pour aboutir finalement à l'arrestation, lundi, de Laurent Gbagbo et à une sortie de la crise qui durait depuis le second tour de l'élection présidentielle, le 28 novembre dernier.

Diplomates et analystes expliquent cet activisme diplomatique du président français, à un an de l'élection présidentielle, par le souci de restaurer sur le plan international une image dégradée dans son opinion publique mais aussi par la volonté de préserver le statut d'acteur majeur de la France au Maghreb et en Afrique francophone.

Mais Paris n'est pas seul. Et certains spécialistes de l'Onu se demandent si Ban Ki-moon n'est pas en train de modifier son image de bureaucrate timide et effacé alors que se profile la fin de son mandat de cinq ans.

Sur la Libye, la Grande-Bretagne a également joué un rôle décisif et, sans le soutien de la Ligue arabe qui a empêché la Russie et la Chine de recourir à leur droit de veto, le Conseil de sécurité n'aurait sans doute pas pu agir.

Pour ce qui est de la Côte d'Ivoire, l'aide du Nigeria a contré les réticences de l'Afrique du Sud. Une Afrique du Sud qui a publiquement exprimé cette semaine ses inquiétudes, se demandant si les casques bleus de l'Onuci et les soldats français de la force Licorne n'avaient pas outrepassé leur mandat.

Athor: Henri-Pierre André pour le service français

Par Reuters publié le 14/04/2011 à 07:26


Source: L'Express, du 14/04/2011 à 07:26

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